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Invitation fraternelle

Par Aissa HIRECHE publié le 01/03/2014

Mon ami, mon frère, toi que je vois, d’ici, sidéré d’apprendre que l’on vient de nous balancer un cadavre à la place du rêve, toi qui te mords l’âme d’avoir cru un jour que l’Algérie pourrait mieux se porter, toi qui rejette l’assiette du chagrin qu’on t’a servie pour toute consolation, viens, allons ensemble nous ennuyer de notre solitude dans l’univers. Allons gémir du mal qui paralyse notre pays et dire à tout le monde, à toute l’humanité, que l’Algérie, la belle Algérie dont nous rêvions, a été assassinée. Qu’elle a été réduite au cauchemar qui a fait fuir ses enfants à bord d’embarcations de fortunes, qu’elle n’est plus que cet endroit invivable qui a poussé ses cadres à faire leurs valises pour d’autres horizons.

Allons donc mon frère chanter notre désespoir et notre misère comme d’autres, sous d’autres cieux, s’en vont chanter leurs réussites et leur développement. Buvons notre désillusion et dévorons les lambeaux de notre attente sur le feu de notre impuissance. L’Algérie ! … Mais qu’a-t-on donc fait de notre pays ? Un rendez-vous pour spoliateurs, venus d’ailleurs pour la plupart. Des parvenus sans gêne, sans valeurs, sans retenue qui se sont mis à démembrer le pays et à en verser l’âme dans l’océan de la haine. Le tout dans un air de fête ! Toutes guirlandes allumées et tous ballons lâchés.

Viens mon frère, allons raconter notre malheur jusqu’aux sourds de ce monde, allons dessiner notre peine jusqu’aux aveugles de cette terre car il faut que tout le monde sache ce qu’ils ont fait de notre beau pays, l’Algérie. Il faut que le cosmos saisisse notre douleur, pour la transmettre, à ceux qui viendront plus tard dans ce beau pays. Il faut charger la mémoire du temps avec cette tristesse qui nous envahit à chaque rendez-vous manqué, à chaque promesse non tenue, à chaque élection truquée, à chaque faux remaniement, à chaque souffle inutile d’une vie devenue sans sens et presqu’inutile sur notre terre.

Disons donc, sans détour, que le projet que l’on nous propose aujourd’hui n’est pas nôtre. Que la proposition que l’on nous étale aujourd’hui d’une Algérie meurtrie par les siens, blessées par ses enfants, violée par ceux qui, ailleurs, sont incapables de faire un seul pas sans s’égarer, n’est pas notre rêve. Ce n’est pas notre cauchemar non plus, ni même notre démon. Ces ogres d’occasion qui nous griffent dans l’âme pour nous obliger à croire que leurs morts sont l’espoir, le seul espoir, de l’Algérie, que l’improbable passé est devenu notre avenir certain, ne sauront soumettre nos cœurs. Ils ne sauront nous convaincre du bien-fondé du viol répété de notre pays. De la révolution de novembre, il ne reste plus finalement que les souvenirs qu’ils veulent bien nous rappeler à chaque veille d’élections en soufflant dans le ballon de leur fausse légitimité. Il ne reste plus que des noms qu’ils prononcent pour mieux gonfler leurs poches et celles des leurs. La révolution à proprement parler et les idéaux de la révolution, c’est pour les naïfs comme nous qui continuons, à soixante-dix ans, à ne jamais nous endormir sans essayer d’imaginer l’indicible courage de Ben M’hidi devant ses bourreaux ou l’incroyable persévérance de Krim Belkacem devant les difficultés des montagnes de Kabylie. L’Algérie est un beau pays, mon frère. Beau avec ses hommes, beau avec ses femmes, beau comme sa jeunesse.

L’Algérie a envie de refuser d’être un pays dont le peuple, vidé de toute ambition, ne sert plus qu’à courir dans la rue pour fêter une misérable victoire de football. L’Algérie veut ressembler aux autres nations dans ce qu’il y a de meilleur, dans le travail, dans le droit naturel de rêver aux jours meilleurs, dans le droit inaliénable pour chaque citoyen d’avoir la même chance que tous les autres pour vivre, travailler et jouir des bienfaits divins sur ce pays. Et Dieu merci, ils sont immenses et infinis ! Ces ministres qui dansent au rythme de la déchéance de leur pays, ces gouvernants qui tournent à la vitesse de l’effritement des forces de leur nation et ces pseudo politiciens qui se frottent les mains en ouvrant la bouche du ventre pour nous avaler et avaler notre pays, le peuple n’en a pas réellement besoin ! Ces pseudo chercheurs-universitaires, comme ils aiment tant se faire appeler, qui ne surgissent de leur sombre et douteux sommeil que pour nous convaincre, dans un style que nul n’apprécie, de la bonne marche de l’Algérie n’augurent rien de bon pour le pays qui a beaucoup souffert de leur incompétence et de leur inaptitude.

La corruption mine le pays, mon frère ! Les détournements sont rapportés à chaque aube, les kidnappings des enfants couvrent les unes de tous les journaux, ceux des commerçants et des filles sont devenus le quotidien sur lequel on se réveille et celui sur lequel on s’endort. Notre quotidien normal. Comme notre inertie, devenue normale elle aussi, depuis que nos dirigeants ont appris à prendre racine à l’ombre du pouvoir. Et dire qu’il s’en trouve qui se lèvent, toute honte bue, pour nous dire que le pays va bien, que l’Algérie avance, que nous avons un pays fort, que jamais l’Algérie n’a été aussi stable !

Non, tout cela est faux. Nous sommes les derniers dans tous les domaines et sur tous les fronts. Nos universités font rire la communauté scientifique internationale, nos hôpitaux sont devenus des mouroirs, notre administration est frappée d’une incapacité chronique à bouger, nos banques nous font nous tenir debout dans des chaines incroyables pour nous permettre de retirer notre argent, lorsqu’elles ont des liquidités s’entend. Notre équipe nationale n’est qu’un groupe de joueurs venus d’ailleurs dont certains n’ont rien à avoir avec le pays parce que, pour ceux qui ne le savent pas encore, nous sommes un pays qui chasse ses cadres et court importer des joueurs de ballon à coup de milliards . Notre école gémit par terre, dix mille fois assassinée par ceux-là mêmes qui, sans trop même se donner la peine de cacher leur rire, nous en chantent sournoisement la beauté, la qualité et les progrès. Notre industrie a été sacrifiée sur l’autel des intérêts vulgaires d’individus non moins vulgaires pour des dessins plus vulgaires encore. Nos maires sont, pour la plupart, des analphabètes, nos élus, dans leur majorité, incultes. Nos députés, dont la plupart ne craignent plus l’outrage au bon sens, réclament avec nos sénateurs des fortunes comme salaires en contrepartie d’un silence assassin qui participe de la braderie du pays, qui le laisse pourrir chaque jour un peu plus ! Qui le fait mourir chaque jour un peu plus. L’Algérie agonise, mon frère dans l’état qu’on lui a voulu.

Quand je dis « on », je ne pense pas à nous, toi, moi et ce peuple qui, comme nous regarde étonné, je pense aux autres, à ces envahisseurs qui, tels des vents dévastateurs, soufflent sans cesse sur notre pays depuis plus de cinquante ans. L’Algérie agonise, mon frère, elle agonise dans l’état de décomposition avancé qu’ils leur ont voulu.

Au nom de quel Dieu devrons-nous donc continuer à voir certains se nourrir dans des poubelles au moment où d’autres déversent des milliards sur les culottes mouillées de leurs chérubins débiles ? Au nom de quel principe salvateur devrons-nous donc continuer à faire la chaine sur les listes interminables pour attendre de nous faire soigner de maladies pour lesquelles nos gouvernants n’importent même pas les médicaments alors que d’autres sautent dans l’avion pour aller se faire arracher, aux frais du peuple, une dent dans les hôpitaux de Paris ou de Genève ? Le bilan de cinquante ans de mauvaise gestion d’un pays, quel qu’il soit, ne peut pas être bon et le nôtre n’est pas bon. Il n’est même pas acceptable ! Tous ceux qui soutiennent le contraire nous mentent, mon frère, comme ils mentent lorsqu’ils applaudissent, le cœur ailleurs et la grande bouche ouverte, cette bouche qui a englouti l’Algérie, les algériens et qui veut aujourd’hui engloutir jusqu’au souvenir de l’Algérie.

Ceux qui osent aujourd’hui mentir aux peuples sont ceux-là mêmes qui lui ont toujours menti. Corrompus jusqu’à l’os, ils sont mus uniquement par l’appétit répugnant qui les traverse de la tête aux pieds. On nous a toujours proposé des rêves évanescents et des illusions fugitives et, tels des enfants naïfs et tout aussi inconscients, nous nous sommes mis à courir derrière. Résultat : cela fait cinquante ans que nous courons derrière de vils mensonges, sous le regard amusé de nos manipulateurs. Le rêve que l’on nous propose aujourd’hui, pour l’Algérie de demain, n’est pas nôtre. Nous ne pouvons en faire le nôtre car il ne nous concerne ni de près ni de loin. Mon frère, nos petits enfants ont vieilli adossés au mur de l’absurde qu’a érigé un système mille fois hypocrite et sans scrupules. Nos enfants courent de l’aube au crépuscule, mon frère, à la recherche d’un emploi honnête, ils y courent diplôme dans une main et compétence dans l’autre mais ils se trouvent toujours devancés par ceux qui arrivent par un coup de fil, avec un chèque, une promotion en vue, une intimidation et j’en passe. Nos petits enfants font le parcours du combattant pour savoir, rien que pour savoir, si des concours sont organisés quelque part pour poursuivre leurs études, mais ils sont les derniers à le savoir, lorsqu’il est trop tard, car le système veut que l’on n’informe le petit peuple des concours qu’une heure avant le début du concours lui-même ! Et c’est ce qu’on nous propose de poursuivre comme vie !!! Le rêve que l’on veut nous faire miroiter à coup de peinture nauséabonde ne nous attire plus et, depuis que nous en avons la nette certitude qu’il est inapte à se parfaire, nous en éprouvons même une certaine répugnance.

Viens donc mon frère, allons faire un tour sur le boulevard déserté de notre triste République pour y compter les verrues que d’aucuns veulent nous faire prendre pour des grains de beauté. La destruction y est généralisée, l’incompétence y est érigée en tant que statue de l’idéal et l’on y a planté des totems pour vénérer l’inaptitude dans un rituel qui, non seulement ne finit pas encore depuis l’indépendance mais qui, à chaque fois que l’on croit s’en être débarrassé, reprend de plus belle.

Cela fait cinquante ans que l’Algérie indépendante essaie d’écrire son histoire, cela fait cinquante ans que nous sommes à la première page d’une histoire muette, sans âme, sans volonté, sans conscience. La sénilité ? Cela fait cinquante ans que nous sommes allés bien au-delà ! Allons, mon frère, viens, allons murmurer dans l’oreille du temps notre ennui d’un système qui nous fatigue après avoir fatigué nos parents et nos grands-parents.

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